Viviane Bouysse, inspectrice
générale revient sur pourquoi et
comment l’école est devenue ce
qu’elle est aujourd’hui. Elle
décrypte ce qu’elle pourrait être
pour répondre au mieux aux
besoins des jeunes enfants
qu’elle accueille. Lors de l’université
d’automne du SNUipp,
elle présente des propositions
concernant les pratiques professionnelles
des enseignants et
revient sur les spécificités du
métier de professeur des écoles
en maternelle.
Vous évoquez une crise
d’identité de l’école
maternelle. À partir de
quels éléments avez vous
dressé un état des lieux ?
Comment se caractérise
cette crise ? Pouvez-vous en
préciser des symptômes ?
- L’état des lieux a été dressé à
partir d’une enquête qui a permis
des observations dans une centaine
d’écoles maternelles et s’est
basé sur des entretiens sur place
avec des enseignants et des
directeurs, à partir aussi d’entretiens
au niveau national avec des
représentants syndicaux ou associatifs,
des universitaires, des
élus. Bref, nous avons vu beaucoup
d’acteurs, à un titre ou un
autre, de l’école et nous avons
aussi effectué des observations
dans d’autres milieux d’accueil de
la petite enfance en France et à
l’étranger. Bien sûr, nous avons
aussi lu ou relu ce qui a été écrit
sur l’école maternelle.
Les symptômes de la crise se
marquent dans l’expression d’une
forme de malaise, de nombreux
enseignants qui sont en quelque
sorte « déboussolés »" : ils ne
trouvent plus le cap, face à des
injonctions qui les étonnent voire
les o$usquent mais ils ne sont
pas sûrs de ce qu’ils regardent
comme des traditions de l’école
maternelle, traditions qu’ils ne
savent pas vraiment justifier. Ils
subissent la pression des parents
en certains lieux pour que la
maternelle soit très « scolaire » ;
l’encadrement pédagogique n’est
pas une situation plus claire ni
très confortable.
Quels sont les éléments qui
permettent de comprendre
ce que l’école maternelle
est devenue ?
- Il faut prendre en compte un
faisceau d’explications pour comprendre
ce qui a conduit l’école
maternelle à évoluer comme elle
l’a fait. Il y a d’abord son histoire
dans les quarante dernières
années : structurellement, elle est
devenue un vrai cursus continu,
de trois ou quatre ans alors que
jusque dans les années 1970 très
rares étaient les enfants qui la fréquentaient
aussi longtemps et
avec autant d’assiduité qu’aujourd’hui.
Mais l’adaptation pédagogique
pour prendre en compte
cet allongement du parcours n’a
pas été vraiment pensée. On n’a
pas assez réfléchi, notamment,
aux évolutions du développement
des enfants et à la progressivité
de la pédagogie qui doit les
accompagner. Dans la même
période, la pédagogie propre à la
maternelle a perdu son originalité,
en réponse à une sorte de
slogan" : « l’école maternelle est
une école ». On s’est mis à y
copier des formes d’activités qui
ont cours dans l’école élémentaire.
Les enseignants ont eu des
difficultés à se situer entre préparation
de l’écolier et prise en
compte des besoins des enfants
hic et nunc, la première option étant devenue prédominante.
Tout cela a été possible parce que
la formation spécifique a aussi
beaucoup décliné.
Ensuite, on doit prendre en
compte aussi les conséquences
de la « logique des compétences
». Quand on définit des
programmes par « compétences »
(et c’est le cas depuis 1995), c’est
l’horizon qui est donné, pas le
chemin pour s’en approcher. Les
programmes de 2008 ont accentué
ce fait : il n’y a pas eu d’explicitation des attendus
épistémologiques, didactiques
ou autres qui aident à construire
un parcours. Ce qui est devenu
visible pour le programme de la
maternelle, c’est ce qui est
attendu en grande section.
Enfin, on observe une accentuation
des effets de la logique des
compétences depuis que l’on a
installé un « pilotage par les résultats
». La centration s’est encore
accentuée sur la section de
grands et sur les objectifs très
particuliers d’acquisition liés à
son appartenance au cycle 2 : de
fait, les objectifs propres au cycle
1 perdent leur visibilité. On n’a pas
vraiment évité les risques de l’effet-
évaluation sur l’apprentissage
: les formes d’activités de
l’évaluation et la nature des exigences
sont anticipées dans l’apprentissage,
et donc on reporte
sur les classes antérieures des
éléments qui ne devraient
concerner que la grande section.
Quels sont les besoins des
enfants qu’elle accueille ?
Pouvez-vous les lister et
évoquer leur importance ?
- On peut rapidement les énoncer
sans que la liste soit hiérarchisée
car tout est important et les
relations entre domaines sont
fortes. Il y a d’abord les besoins
physiologiques propres au petit
enfant et qui évoluent assez vite
mais il faut toujours en tenir
compte : le besoin de repos, de
repli, la propreté, la nourriture,
l’eau ; c’est l’adulte qui pense pour
le petit puis qui l’aide à prendre
conscience de ses besoins et
conduit chacun à les satisfaire
seul. Il y a les besoins moteurs et
psychomoteurs : le jeune enfant
découvre le monde grâce à la
motricité (globale et fine), il doit
être mis en situation de prendre
des risques à sa mesure bien sûr
et en sécurité. Certains psychologues
insistent sur le besoin des
enfants de « désordonner le
monde » pour comprendre comment
il s’ordonne. Les enfants
doivent pouvoir bouger et manipuler
beaucoup. Ils ont aussi un
grand besoin de jeu, c’est-à-dire
d’activités gratuites (sans finalité
utilitaire), de rêverie, de création.
Ils se projettent dans des rôles, ils
inventent, ils font semblant. De
plus, ils ont aussi des besoins de
découvertes et de connaissances :
ils aiment imiter, explorer, observer,
répéter, se remémorer, etc. Un
enfant qui va bien a envie de
grandir et grandir pour lui c’est
pouvoir faire plus de choses tout
seul, connaître plus qu’avant ; Ils
ont besoin d’expression langagière,
de communication : il leur
faut des temps d’échanges voire
de confidences.
Comment y répondre au
mieux ?" Quel rôle devrait
jouer l’école idéalement ?
Quelles propositions
peut-on mettre en avant ?
- Tous les spécialistes le disent,
il n’y a pas d’opposition entre
bien-être ou épanouissement et
apprentissages. Le bien-être est
lié à la satisfaction des besoins
divers de l’enfant, donc aussi des
besoins d’apprendre, de progresser.
Il faut se représenter l’école
maternelle comme une transition
entre des univers marqués
par des manières d’apprendre
di$érentes, celle du tout petit
qui prolongent les manières
d’apprendre du bébé (par imitation,
par essais et erreurs, dans
des situations fonctionnelles) et
celles de l’écolier de CP (les
leçons, les exercices). Il lui faut
pour cela une organisation qui
permette aux enfants de vivre
bien leur petite enfance tout en
s’engageant à leur mesure et à
leur manière dans les apprentissages.
Pour résumer, il y a trois
mots clés : faire agir, réussir et
comprendre. Les enfants doivent
pouvoir agir, c’est-à-dire prendre
des initiatives (et non exécuter)
et « faire » (essayer, recommencer,
etc.). Ils doivent être aidés
pour parvenir à réussir, c’est-àdire
à aller au bout d’une intention,
d’un projet voire de la
réponse à une consigne, et de
manière satisfaisante. Enfin, il
faut qu’ils comprennent ce qui a
réussi, comment et pourquoi ils
sont réussi, ce qui suppose une
prise de distance, une prise de
conscience qu’ils ne peuvent
effectuer que sous la conduite
d’un pédagogue. C’est dans cette « capacité réflexive » que
se construit la posture d’élève.
Quelles sont les
conséquences pour les
pratiques professionnelles
des enseignants ?
- En matière de pratiques professionnelles,
il faudrait que les
enseignants de maternelle parviennent
à travailler davantage
avec des petits groupes, pour
interagir au mieux avec chaque
enfant, pour mieux les observer,
mieux les guider vers la réussite
et la compréhension des activités.
Cela suppose que chaque
classe soit organisée comme un
milieu offrant des occasions d’apprendre
et des situations stimulantes.
Pour quels objectifs ? Les
enfants doivent pouvoir prendre
des initiatives quand ils ne sont
pas dans le groupe piloté par l’enseignant
et, pour cela, il faut un
aménagement particulier de la
classe, des ressources importantes
dans la classe (du matériel,
des jeux, etc.).