Vous posez la question
« faut-il réformer l’école et
sur quelles bases »,
n’êtes-vous pas persuadé
qu’une refondation soit
nécessaire" ?
- Il faut savoir prendre de la distance
critique entre des choses
qui sont annoncées comme une
refondation et qui à mon sens ne
le sont pas vraiment et d’autre
part, indiquer quelles sont les
bases de rupture qu’il faudrait
avoir avec l’école telle qu’elle
fonctionne tout en indiquant des
pistes alternatives. Je pense donc
qu’une refondation est nécessaire
mais sur la base d’un diagnostic
qui établisse pourquoi et comment
les fondations actuelles ont
été mises à mal. L’école n’est pas
un champ de ruines mais un certain
nombre de ses fondements
ont été sapés par amputation de
moyens, fermetures de classes...
et par l’imposition de normes
comptables, dérivées du new
management privé. C’est sur ces
bases-là qu’il faut refonder.
La concertation a mis en
avant un diagnostic
généralement partagé, c’est
celui de la panne de la
démocratisation de l’école.
N’est-ce pas là le principal
enjeu de la refondation ?
- Cette partie du diagnostic je
la partage tout à fait. Ce que je
regrette c’est qu’à aucun moment
on ne l’aie mise en regard de
l’évolution de la société et surtout
des politiques néolibérales
qui en sont responsables. Le
paradoxe est qu’on se retrouve
dans la désignation d’inégalités
dans l’école sans qu’à aucun
moment cela ne soit lié à ces politiques.
Vous avez coécrit La
nouvelle école capitaliste
dans lequel vous dénoncez
le fait que l’école serait
gérée selon des critères de
gestion capitalistes. Que
voulez-vous dire
concrètement ?
- L’école, si nous n’y prenons
garde et suivons les injonctions
hiérarchiques, devrait se plier de
l’intérieur aux normes dominantes
de concurrence et compétition,
ce qui renforce les
inégalités, la dénature et la
détourne de tout objectif
d’émancipation. Elle tend à
devenir en elle-même intrinsèquement
capitaliste. Les critères
de valorisation du capital humain
sont dans le fonctionnement
même de l’école.
Vous pouvez donner un
exemple ?
- Ce sont par exemple les
recettes du « management de la
performance » qui sont présentées
comme des modèles censés
répondre à tout, à la fois pour les
écoles, les maîtres, les
élèves : contrats d’objectifs quantifiés
et individualisés, évaluation,
pilotage par la demande, autonomie,
concurrence, transformation
des usagers en « clients ».
Le discours du management est
omniprésent et remplace toute
réflexion sur comment surmonter
les difficultés apprentissage : il
faut être performant pour se
plier aux classements. Mais en
eux-mêmes ces derniers ne
veulent pas dire grand chose.
Comme PISA par exemple, personne
ne sait vraiment ce qui est
mesuré mais l’important est de
se soumettre à la dictature de la
mesure comptable.
Est-ce que votre analyse
vaut pour l’école de la
maternelle à l’université où
faites-vous un distingo selon
les niveaux ?
- Cela me semble clair et net au
niveau de l’enseignement supérieur.
L’autonomie des universités
induit ce type de
fonctionnement avec un
mélange public-privé et injonction
aux chercheurs de rentabilité
de recherche. À l’autre bout
dans le primaire c’est vrai qu’on
est dans une situation différente
mais l’une des logiques de cette
évolution néolibérale de l’école
c’est d’imposer un fonctionnement
de marché même là où il
n’y a pas marchandise. Pour le
primaire il n’y a pas marchandisation
du savoir. Il y a quand
même une situation de pression
dans laquelle les maîtres doivent
fonctionner selon ces critères,
de toujours être évalués, d’être
plus rentables etc.
Face à cette situation y a-t-il
des alternatives pour les
enseignants ?
- À mon avis même la pédagogie
a été influencée par ces
normes de compétition et de
rentabilité. À l’heure actuelle un
des problèmes qui se pose en
lien avec les contenus centrés
sur les compétences est qu’il y a
une cohérence entre le socle
commun de compétences et de
connaissances et le type de
pédagogie adaptée à son acquisition,
pédagogie que j’appelle
la pédagogie de la compétition.
À l’inverse, je prône une pédagogie
de coopération, qui soit en
rupture avec la précédente. On
doit pouvoir apprendre sans
concurrence. Le défi est celui
d’une invention commune de
cette pédagogie de la coopération,
et pour cela il faut travailler
ensemble à ce qui recentre sur
la question des apprentissages
et de contenus qui ne soient pas
ceux de compétences mais de
savoirs.