
Vous militez pour que les sciences soient enseignées à tous dès l’école primaire. Pourquoi ? Qu’apporte cet enseignement que n’apportent pas d’autres ?
- Dès le départ, l’idée de Georges Charpak, initiateur du projet La Main à la pâte, était que l’enseignement des sciences est là d’abord pour la formation de l’esprit de l’enfant, c’est-à-dire sa capacité à raisonner, à regarder le monde dans sa réalité, à questionner, à aiguiser sa curiosité… L’homme, dans sa vie d’adulte doit être un questionneur. Nous sommes loin de l’idée que les élèves ne fassent qu’emmagasiner des connaissances. Cela viendra dans le secondaire. Si les sciences ne sont pas les seules à transformer l’esprit - la littérature, la philosophie y participent tout autant - leur spécificité est qu’elles permettent aux enfants de se confronter à un problème réel, concret. Et c’est l’expérimentation qui fait la différence entre les hypothèses énoncées. Ce qui nous intéresse c’est que les enfants puissent apprendre en faisant, pratique vieille comme le monde. A l’école, ils peuvent pratiquer la science un peu à la manière des chercheurs : questionner, émettre une hypothèse, réaliser une expérience (qui joue le rôle du juge de paix), puis rédiger tout cela sur leur « cahier de sciences » , un peu comme le ferait un chercheur dans une revue.
On parle d’une crise des vocations en sciences. N’ont-elles pas un déficit de sympathie ? Et l’école peut-elle contribuer à éveiller des vocations ?
- Il est bon d’alerter tôt sur la beauté de la science, l’intérêt d’en faire. Nous serons heureux si dans quinze ans La Main à la pâte a contribué à développer des vocations. Mais je ne pense pas que la longue quasi-absence de cet enseignement au primaire ait joué un rôle dans cette déshérence. Un enfant de 10 ans est très éloigné de celui qu’il sera à 18. Je crois plutôt que cette désaffection est la conséquence du peu de place que la science a dans la société. Dans les années 60, les centrales nucléaires, le Concorde, la structure de l’ADN étaient des aventures techniques et scientifiques dont on parlait. Aujourd’hui l’évocation de l’Airbus se fait le plus souvent sur son volet économique. De façon emblématique, je note que la science a une place très marginale au gouvernement. Presqu’aucun de nos ministres n’a une formation scientifique au contraire de la Chine où tous en ont eu une. Cette désaffection se voit d’ailleurs dans les médias. Pendant un temps, le quotidien Le Monde n’avait même plus de pages « Sciences ». J’ajouterais que les études scientifiques sont considérées comme difficiles, selon l’image qu’il faut s’y mettre la tête dans les mains. Enfin, le peu d’orientation des jeunes filles vers ce domaine reste assez inexplicable alors qu’elles réussissent tout aussi bien que les garçons et que des efforts considérables de persuasion sont faits en ce sens.
Quel bilan faites-vous de La Main à la pâte, 15 ans après sa mise en place ? D’abord, les réussites ?
- Il y a des raisons de se réjouir. La science est redevenue présente dans l’école primaire. Les enseignants en parlent, quand ils en font c’est le plus souvent à la manière Main à la pâte et si ils n’en font pas, certains culpabilisent. Dans l’institution de l’Éducation nationale, l’enseignement de type expérimental est reconnu depuis les programmes de 2002. Le site internet du projet est très visité par les maîtres. Ils y disposent de ressources, d’un forum mais aussi d’un espace de discussions avec les scientifiques qui fonctionne bien. Enfin, l’accompagnement de classes des écoles défavorisées par des étudiants, des ingénieurs en retraite ou des scientifiques continue à se développer. Autre sujet de satisfaction : ce projet s’exporte. Nos équipes sont sollicitées pour des conférences mais aussi pour la formation de formateurs dans des dizaines de pays. C’est un mouvement mondial, favorisé par le caractère universel la science.
Et du côté de ce qui reste à faire ?
- Il existe une résistance considérable malgré les 15 ans d’effort. Plus de la moitié des classes en France ne font toujours pas de sciences. La raison invoquée est parfois le manque de temps. Mais je ne crois pas que ce soit valable. Je pense plutôt que beaucoup d’enseignants ont peur de la science car ils n’en ont pas fait. Seulement 15% des professeurs des écoles ont fait des études scientifiques. Les autres n’en ont plus fait depuis le secondaire - dont ils gardent souvent un mauvais souvenir - et ils ont perdu leur bagage de connaissances. La formation en sciences dans les IUFM était trop homéopathique pour pouvoir impulser un mouvement en faveur de cet enseignement. Tout notre effort encore aujourd’hui est d’arguer que la science est partout, dans le jardin, dans la cuisine… Si l’on met un glaçon dans de la laine, fondra-t-il plus vite ou moins vite que dans une feuille d’aluminium ? Les enfants répondront naturellement « plus vite parce que la laine, c’est chaud », ce qui est faux. Qu’on ne dise pas que l’expérience correspondante, et que son explication (fondée sur la notion d’isolation), sont difficiles !
Bibiliographie :
Doubles croches, Ed Le Pommier Savourer et faire savourer la science, avec P. Léna et B. Salviat, Ed Le Pommier, 2009 Enseigner, communiquer, Ed Le Pommier, 2008, L’enfant et la science : l’aventure de La main à la pâte, avec G. Charpak et P. Léna, Ed Odile Jacob, 2003
Vidéo :
Yves Quéré | « Apprendre la science en faisant » from SNUipp-FSU on Vimeo.