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Arts visuels : « Rechercher la pertinence »

mardi 21 mai 2013
Mis à jour le mardi 18 décembre 2012

Joëlle Gonthier est plasticienne, agrégée d’arts plastiques, docteure en esthétique. Créatrice de La Grande Lessive® qui aura lieu le 28 mars Elle a travaillé au Jeu de Paume dans l’équipe d’Alfred Pacquement et conçu des dispositifs pour La Bibliothèque nationale.
Elle dialogue avec des artistes : Aurélie Nemours, Jochen Gerz, Christian Jaccard (entretien publié par les Beaux-Arts de Paris) et réalise des conférences/ performances. www.lagrandelessive.net, sur www.bnf.fr : Des clics et des classes, cent portraits/cent visages, sur www.culturecommunication.gouv.fr : Conference-Performance-Un-conte-pedagogique-de-Joelle-Gonthier


- D’après vous, enseigner ce qui permet de devenir créatif est une urgence en temps de crise. Pourquoi ?

  • Les anciennes solutions ne fonctionnent plus et les nouvelles ne doivent rien coûter. La créativité s’impose ainsi à tous, bien qu’elle ait été jusque-là assimilée à du temps non productif, voire à une disposition d’esprit excluant de la société et du monde des adultes. Il est temps de rendre les personnes aptes à appréhender les situations auxquelles elles sont confrontées, et à construire leur propre démarche. On a fait de nous des consommateurs, il s’agit désormais de passer de la réception à la création.

- Quelles incidences pour l’école ?

  • La refondation de l’école passe par celle de l’enseignement artistique. Je défends une démarche qui ne s’intéresse pas uniquement à l’art, mais à l’école en général et à la citoyenneté. Si l’enseignement artistique demeure une case horaire à déplacer pour modifier le rythme de la journée, il sera très vite considéré comme facultatif voire exclu de l’école ce qui renforcera les inégalités sociales. Or l’enseignement artistique est capable d’irriguer et de soutenir les autres enseignements, tout en déployant sa singularité. L’art est un bien commun né avant l’écriture et le calcul, puisqu’il porte les premiers signes inventés par l’Homme. Mais il est situé maintenant au bas d’une hiérarchie qui assimile ce qui est premier au primitif et non au fondamental. Le langage semble la seule voie pour accéder à la connaissance : quid du corps et du pauvre être polysensoriel que nous sommes ? L’enseignement artistique permet une formation du regard et de la pensée, une construction de pratiques, de codes et de références, partagés et critiqués.

- L’enseignant doit donc garder la main ?

  • En délégant l’artistique et le culturel, il se priverait de plaisirs et d’interactions. Son enseignement ferait croire qu’il existe deux univers : l’un utile, l’autre accessoire. Lui-même serait hors jeu. Il est essentiel que les collaborations avec des médiateurs ou des artistes s’établissent en complicité avec l’enseignant pour partager ce que les uns et les autres savent. L’enseignant n’est pas là pour maintenir l’ordre lors d’une sortie. Il doit comprendre les objectifs et les enjeux afin de prolonger toute découverte par un enseignement, accompagner et évaluer la démarche des élèves dans la durée.

- Que faire de ce sentiment d’incompétence en arts visuels ?

  • Ne pas savoir est une bonne raison d’apprendre ! Que serait l’école sans ce besoin ? Nous pouvons apprendre à tout âge quelque chose de l’art. L’enseignement artistique et l’art articulent pratique, réflexion et apprentissage. Ce n’est pas l’art en lui-même, mais les pratiques scolaires réitérées par habitude et désinvesties de contenus d’apprentissage qui plombent ! Je propose souvent aux élèves de collège !de revenir sur leurs réalisations accumulées depuis la maternelle. Ils découvrent ainsi que certains aspects relèvent du développement de l’être humain (bonhomme têtard…), d’autres du fonctionnement de l’école (mêmes sujets, techniques et esthétiques) et certains d’eux-mêmes. L’enseignant de CM2 qui initierait un tel travail pourrait nouer avec les élèves, les parents et ses collègues d’autres relations. Le travail en équipe est en effet indispensable car, si l’art se bâtit sur l’art, c’est également une pratique sociale.

- Alors que met-on dans la boîte à outils de l’enseignant ?

  • Des dispositifs. La Grande Lessive ® en est un. La classe en est un autre. Si la classe est trop petite pour les arts plastiques vidons-là et comprenons ce qu’est le vide ! C’est là une boutade qui dit cependant combien l’art fait feu de tout bois. Si l’on fait de nos corps des sculptures et que l’on immobilise l’école entière à un moment donné, ce qui arrive côtoie quelque chose de l’art. Si on installe une caméra dans le couloir de l’école pour enregistrer une expression du visage de chaque enfant, la succession d’images sera comparable au portrait de l’école. Se demander alors « J’ai quoi et j’en fais quoi ? » et surtout « Qu’ai-je appris et qu’ai-je le désir d’apprendre ? » devient décisif. Il s’agit de mettre à distance, d’effectuer des déplacements, des combinaisons, des transpositions. Cela ne requiert pas de compétences techniques, mais de petites inventions. Il ne s’agit pas que l’enseignant soit dans l’excellence mais dans la pertinence et l’efficacité pour faire exister quelque chose de l’art à l’école.
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