L’orthographe française est-elle plus difficile à maitriser que les autres ?
MF. Oui car elle présente trois types de difficultés. La première c’est que notre langue repose sur un système alphabétique. Mais c’est une difficulté qui est commune à tous les systèmes alphabétiques. La deuxième est liée au fait que nous ne sommes pas dans un système idéal avec 26 lettres et 26 phonèmes. Nous avons entre 32 et 36 phonèmes et, au fil de l’histoire, on a voulu garder les différentes origines de notre langue et les traces de son évolution. L’orthographe des mots ne correspond donc pas à leur forme phonologique. Le mot « beau » a 2 phonèmes mais s’écrit avec 4 lettres. Donc lorsqu’on entend une forme orale, on peut rarement la transcrire directement, la phonologie ne suffit pas et il faut faire appel à la morphologie lexicale. La troisième difficulté, elle, est spécifique au français et porte sur la morphologie flexionnelle, c’est-à-dire les accords. Cette morphologie est muette et les jeunes français ne vont découvrir les marques de la pluralité ou du genre -masculin/féminin- que quand ils vont apprendre à lire et à écrire, au contraire des jeunes espagnols ou allemands qui les ont déjà « dans l’oreille ». Un nouvel apprentissage doit donc avoir lieu et, toute notre vie, il va falloir faire attention à cela.
Les accords, une difficulté spécifique au français.
Quelles formes d’enseignement mettre en oeuvre ?
MF. Pour le principe alphabétique, ce n’est pas trop difficile. L’apprentissage de la lecture et celui de l’écriture vont se faire ensemble puisqu’ils reposent tous les deux sur les relations phonèmes-graphèmes. Pour l’orthographe lexicale, c’est plus compliqué. On sait depuis quelques années que lire et déchiffrer entraine l’apprentissage de la forme orthographique d’un grand nombre de mots. On apprend donc de façon implicite sans le vouloir. On s’auto- apprend les formes des mots même les plus irrégulières si elles sont fréquentes. Malheureusement cela ne suffit pas car dans certains cas, les formes lexicales posent problème et souvent ce sont des mots très fréquents comme « alors, pendant, maintenant, des » qui sont irréguliers c’est-à-dire non calqués sur la forme orale. On ne peut donc pas se passer d’un enseignement lexical explicite.
En quoi la recherche peut-elle nous aider ?
MF. Elle peut nous aider à trier parmi les techniques d’enseignement celles qui sont les plus efficaces. On s’est aperçu par exemple que l’utilisation de petits trucs de soulignement pour mettre en valeur une graphie irrégulière et attirer les l’attention des élèves n’avait pas d’effet positif sur la mémorisation de ces graphies. Les difficultés ne se trouvent pas dans l’encodage mais au niveau de la mémoire qui réorganise ce qui a été vu et encodé à partir des tendances les plus fréquentes. On ne mémorise donc pas des mots mais des fréquences d’apparition de certaines formes. On sait que ce qui fonctionne, ce sont des séances structurées, brèves et espacées, où les élèves sont incités à retrouver par eux-mêmes à intervalles réguliers tout ou partie de l’orthographe des mots, l’effort de rappel étant un facteur important de l’apprentissage et de sa consolidation.
C’est la même chose pour l’orthographe grammaticale ?
MF . Non, on a montré il y a quelques années, que les accords les plus simples étaient relativement faciles à acquérir pour peu qu’on les pratique assez souvent. En revanche, il y a un domaine qui commence seulement à être exploré c’est celui de la morphologie dérivationnelle, c’est-à-dire les familles de mots, « grand » qui prend un « d » parce qu’on peut faire « grande ». Cette morphologie est sans doute facilitatrice même si on est gêné par les exceptions comme l’absence de « t » à la fin d’ « abri » alors qu’on dit abriter.
Il vaut donc mieux enseigner d’abord les régularités ?
MF. L’enfant a tendance à extraire les régularités tout seul, mais il y a de fortes différences entre les individus. Il faudrait donc vérifier que les élèves ont extrait les régularités, les amener à en prendre conscience de façon plus certaine, et, une fois qu’on est sûr de cette installation, alors mettre en place un enseignement explicite des irrégularités.
Tout n’a donc pas déjà été essayé ?
MF. Si les problèmes étaient simples, il y a longtemps qu’il n’y aurait plus d’erreurs orthographiques. Non, on n’a pas tout essayé parce qu’il y a des choses qu’on ne connait pas encore. Et celles qu’on connait ne sont pas toujours diffusées comme elles devraient l’être. Pourtant, la recherche apporte de nouvelles données concernant les difficultés et la manière de les prévenir ou de les dépasser