Marie-Rose Moro, professeure
de psychiatrie de l’enfant et de
l’adolescent et également
directrice de La Maison de
l’adolescent de Cochin reçoit
en consultation de nombreux
enfants de migrants en proie à
l’échec scolaire. Elle vient de
publier « !Enfants de
l’immigration, une chance
pour l’école ! ». Elle entend y
redessiner les perspectives.
« !Il faudrait cesser de voir la
présence au sein de l’école
française d’un nombre
croissant d’enfants issus de
l’immigration comme un
problème ! ». Il s’agirait de
permettre à tous les enfants
d’accéder à une diversité et à
une altérité qui les préparent à
un monde de plus en plus
ouvert et complexe. Elle
présente à l’université
d’automne, les contours de ce
projet courageux et constructif
susceptible de donner un élan
nouveau à toute la société.
Vous développez l’idée que
les enfants de migrants sont
une chance pour l’école.
- Pour de nombreuses raisons.
C’est une chance pour eux et aussi
pour les autres enfants qui vont
bénéficier d’un certain nombre de
caractéristiques, le plurilinguisme,
le fait qu’ils connaissent plusieurs
mondes, cultures, histoires et religions
qui sont essentiels et sont
des éléments importants dans
notre monde contemporain. Les
enfants de migrants ont des compétences
sous exploitées dans
l’école française. Par ailleurs, ils
possèdent parfois une autre
langue maternelle qui n’est pas le
français. Tous les travaux linguistiques
montrent qu’avoir plus
d’une langue, est un atout pour un
enfant. On le sait pour l’anglais
mais moins pour les langues des
enfants de migrants comme si on
faisait une sorte de hiérarchie
entre les langues. Tant que les
enfants ne sont pas persuadés
que c’est une chance, ils ne se
disent pas bilingues, ils ont honte
d’une partie d’eux-mêmes. Ils se
structurent avec cette idée qu’une
partie d’eux-mêmes est mauvaise.
Cette question est l’un des facteurs
déterminants dont la reconnaissance
modifierait notre regard
et aussi peut-être les méthodes
pédagogiques. Si on accepte
l’idée qu’un enfant qui entre à
l’école ait comme deuxième
langue, le français, on va pouvoir
faire des petites adaptations pour
que l’enfant passe de l’une à
l’autre. Ces techniques sont
connues, elles sont développées
pour le Français Langue Etrangère
(FLE) mais on ne les utilise jamais
pour les enfants de migrants. Soit
on nie leur bi-linguisme, soit on
considère que c’est du semi bilinguisme.
C’est une position dépréciative.
On n’adapte jamais les
méthodes d’apprentissage d’écriture
et de lecture. Autre exemple,
Passer d’une méthode de structuration
linguistique à une autre.
Sans être spécialiste, si on prend
en compte le fait qu’un tiers des
enfants ont une autre langue
maternelle que le français, les
méthodes pédagogiques
s’adaptent comme on le fait en
Europe du Nord… On peut voir
avec un petit chinois et lui demander
de réfléchir à ce qu’il ferait
dans sa langue maternelle avant
de le traduire en français pour voir
la di$érence. Du coup, c’est un
moyen de faire une leçon de linguistique
à tous les enfants en
expliquant que toute langue est
un système de code. Il existe de
nombreux autres exemples applicables
en histoire et en géographie
etc…
Vous estimez qu’il faudrait
davantage valoriser la
migration dans
l’enseignement ?
- Oui. On n’enseigne pas la
migration ou alors très mal. Si on
est dans une classe qui compte un
tiers d’enfants migrants, il serait
utile de commencer par raconter
l’histoire de ces migrations et d’en
faire un sujet d’enseignement
pour la valoriser. Cela représente
l’idée que ces enfants sont objets
et sujets de savoir, pour eux mais
aussi pour les autres. Ce qui nous
empêche de faire des choses aussi
simples, est que l’on a une représentation
d’égalitarisme abstrait.
Il faut que les enfants soient égaux
mais de fait, pas seulement de
principe ! S’ils n’accèdent pas à la
lecture, s’ils ne passent pas harmonieusement
du monde de la
maison à celui de l’école, ils ne
sont pas égaux, ils vont se retrouver
dans un monde d’exclusion et
ne vont pas accéder au savoir. Il y
a un vrai enjeu de reconnaissance
de ce qu’apportent les enfants de
migrants à l’école.
Vous évoquez un sentiment
de déception dans le monde
de l’enseignement ?
- Aujourd’hui, il peut y avoir
de la déception pas seulement
chez les enseignants mais aussi
chez les adolescents qui peuvent
regretter le décalage entre ce
qu’on leur a dit et ce qu’ils peuvent
faire. Quand je les vois en consultation,
ils se disent déjà cassés or
c’est à l’école que se joue cette
possibilité d’ouvrir des perspectives
vers une vie future.
Se pose aussi la question de
la place à l’école des parents
de migrants ?
- La place des parents de
migrants dans l’école française est
très difficile. Trop souvent, les
parents ne rentrent pas dans
l’école, trop impressionnante pour
eux. Ils ont souvent une image
« démesurée » des enseignants
dans le sens où cela les empêche
de se considérer leur égal. Il faudrait
que l’école accepte de
mettre des moyens au service de
ces parents qui ont des langues
différentes et des rapports au
savoir différents. Il faudrait des
traducteurs par exemple ce qui
n’est pas une pratique courante. Il
faudrait considérer ces parents
comme des parents capables de
parler. Un exemple : certaines
choses ne sont pas encore acceptées
par l’école notamment
lorsque les parents envoient un
grand frère ou une grande soeur
à leur place. Or c’est aussi une
manière pour eux de participer à
l’école en envoyant par exemple
leurs aînés. Il faudrait ouvrir l’école
en disant aux parents vous êtes
les bienvenus et on a besoin de
vous pour éduquer vos enfants et
pour leur transmettre le savoir. On
ne s’adapte pas vraiment. Comme
le français est considéré comme
sacré, les informations ne sont
jamais données dans les langues
des parents. Or ce qui est sacré
c’est la compréhension, le fait
d’accéder à une information. Dans
des écoles parisiennes, une expérience
a lieu, deux heures par
semaine, les parents sont invités
à aller à l’école pour apprendre
leur métier de parents d’élèves. Ils
apprennent avec des traducteurs
ce qu’est un carnet de correspondance,
une coopérative... À
chaque fois, cela représente pour
les parents un grand honneur, ils
en sont très satisfaits. Mais cela
reste des expériences tout à fait
marginales et pas généralisées.
Comment généraliser la
formation et mettre
l’éducation à la diversité en
priorité absolue ?
- Une résolution du Parlement
européen d’avril 2009 sur l’éducation
des enfants de migrants en
Europe a analysé l’ensemble des
études à notre disposition sur la
réussite des enfants de migrants
à l’école dans toute l’Europe. Elle
en a tiré certaines recommandations,
une dizaine, qui s’imposent
aux États mais qui pour l’instant
ne sont mises en oeuvre que dans
le Nord de l’Europe. Cette résolution
préconise, entre autres, l’existence
d’une diversité culturelle et
sociale des enseignants à l’école.
C’est de la discrimination
positive ?
- Oui on peut dire ça. C’est
extrêmement difficile à mettre en
place en France. On pourrait dire :
les enseignants représentent la
société et les enfants peuvent
s’identifier à différents personnages.
Cette présence d’une
diversité culturelle supposerait
que l’on fasse de la discrimination
positive dans le recrutement des
enseignants mais cela peut se
faire autrement dans l’organisation
d’équipes mixtes par exemple
autour de projets pédagogiques.
Une autre recommandation est de
faire de l’éducation à la diversité
culturelle une matière scolaire.
C’est l’idée que dans notre société,
il faut reconnaître les apports multiples
qui la constitue, utiliser pour
les analyser l’histoire, la géographie,
la linguistique... et valoriser
les liens entre ces apports, les
métissages, le vivre ensemble...
Cela suppose d’apprendre à
enseigner cette diversité culturelle.
Il y a beaucoup de travaux
qui ont été réalisés sur le sujet. Un
troisième point qui me semble
très important est la reconnaissance
de la langue des enfants et
le fait qu’elle se traduit par la possibilité
d’utiliser des compétences
pour être des objets pédagogiques
partagés avec l’ensemble
de la classe. On a des exemples,
des théories et des pratiques.
Après, il faut une véritable volonté
politique pour mettre en place
tous ces ingrédients et les généraliser
au sein de l’école française.