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"Enfants de l’immigration : une chance pour l’école"

jeudi 20 juin 2013
Mis à jour le lundi 25 février 2013

Marie-Rose Moro, professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et également directrice de La Maison de l’adolescent de Cochin reçoit en consultation de nombreux enfants de migrants en proie à l’échec scolaire. Elle vient de publier « !Enfants de l’immigration, une chance pour l’école ! ». Elle entend y redessiner les perspectives. « !Il faudrait cesser de voir la présence au sein de l’école française d’un nombre croissant d’enfants issus de l’immigration comme un problème ! ». Il s’agirait de permettre à tous les enfants d’accéder à une diversité et à une altérité qui les préparent à un monde de plus en plus ouvert et complexe. Elle présente à l’université d’automne, les contours de ce projet courageux et constructif susceptible de donner un élan nouveau à toute la société.

- Vous développez l’idée que les enfants de migrants sont une chance pour l’école.

  • Pour de nombreuses raisons. C’est une chance pour eux et aussi pour les autres enfants qui vont bénéficier d’un certain nombre de caractéristiques, le plurilinguisme, le fait qu’ils connaissent plusieurs mondes, cultures, histoires et religions qui sont essentiels et sont des éléments importants dans notre monde contemporain. Les enfants de migrants ont des compétences sous exploitées dans l’école française. Par ailleurs, ils possèdent parfois une autre langue maternelle qui n’est pas le français. Tous les travaux linguistiques montrent qu’avoir plus d’une langue, est un atout pour un enfant. On le sait pour l’anglais mais moins pour les langues des enfants de migrants comme si on faisait une sorte de hiérarchie entre les langues. Tant que les enfants ne sont pas persuadés que c’est une chance, ils ne se disent pas bilingues, ils ont honte d’une partie d’eux-mêmes. Ils se structurent avec cette idée qu’une partie d’eux-mêmes est mauvaise. Cette question est l’un des facteurs déterminants dont la reconnaissance modifierait notre regard et aussi peut-être les méthodes pédagogiques. Si on accepte l’idée qu’un enfant qui entre à l’école ait comme deuxième langue, le français, on va pouvoir faire des petites adaptations pour que l’enfant passe de l’une à l’autre. Ces techniques sont connues, elles sont développées pour le Français Langue Etrangère (FLE) mais on ne les utilise jamais pour les enfants de migrants. Soit on nie leur bi-linguisme, soit on considère que c’est du semi bilinguisme. C’est une position dépréciative. On n’adapte jamais les méthodes d’apprentissage d’écriture et de lecture. Autre exemple, Passer d’une méthode de structuration linguistique à une autre. Sans être spécialiste, si on prend en compte le fait qu’un tiers des enfants ont une autre langue maternelle que le français, les méthodes pédagogiques s’adaptent comme on le fait en Europe du Nord… On peut voir avec un petit chinois et lui demander de réfléchir à ce qu’il ferait dans sa langue maternelle avant de le traduire en français pour voir la di$érence. Du coup, c’est un moyen de faire une leçon de linguistique à tous les enfants en expliquant que toute langue est un système de code. Il existe de nombreux autres exemples applicables en histoire et en géographie etc…

- Vous estimez qu’il faudrait davantage valoriser la migration dans l’enseignement ?

  • Oui. On n’enseigne pas la migration ou alors très mal. Si on est dans une classe qui compte un tiers d’enfants migrants, il serait utile de commencer par raconter l’histoire de ces migrations et d’en faire un sujet d’enseignement pour la valoriser. Cela représente l’idée que ces enfants sont objets et sujets de savoir, pour eux mais aussi pour les autres. Ce qui nous empêche de faire des choses aussi simples, est que l’on a une représentation d’égalitarisme abstrait. Il faut que les enfants soient égaux mais de fait, pas seulement de principe ! S’ils n’accèdent pas à la lecture, s’ils ne passent pas harmonieusement du monde de la maison à celui de l’école, ils ne sont pas égaux, ils vont se retrouver dans un monde d’exclusion et ne vont pas accéder au savoir. Il y a un vrai enjeu de reconnaissance de ce qu’apportent les enfants de migrants à l’école.

- Vous évoquez un sentiment de déception dans le monde de l’enseignement ?

  • Aujourd’hui, il peut y avoir de la déception pas seulement chez les enseignants mais aussi chez les adolescents qui peuvent regretter le décalage entre ce qu’on leur a dit et ce qu’ils peuvent faire. Quand je les vois en consultation, ils se disent déjà cassés or c’est à l’école que se joue cette possibilité d’ouvrir des perspectives vers une vie future.

- Se pose aussi la question de la place à l’école des parents de migrants ?

  • La place des parents de migrants dans l’école française est très difficile. Trop souvent, les parents ne rentrent pas dans l’école, trop impressionnante pour eux. Ils ont souvent une image « démesurée » des enseignants dans le sens où cela les empêche de se considérer leur égal. Il faudrait que l’école accepte de mettre des moyens au service de ces parents qui ont des langues différentes et des rapports au savoir différents. Il faudrait des traducteurs par exemple ce qui n’est pas une pratique courante. Il faudrait considérer ces parents comme des parents capables de parler. Un exemple : certaines choses ne sont pas encore acceptées par l’école notamment lorsque les parents envoient un grand frère ou une grande soeur à leur place. Or c’est aussi une manière pour eux de participer à l’école en envoyant par exemple leurs aînés. Il faudrait ouvrir l’école en disant aux parents vous êtes les bienvenus et on a besoin de vous pour éduquer vos enfants et pour leur transmettre le savoir. On ne s’adapte pas vraiment. Comme le français est considéré comme sacré, les informations ne sont jamais données dans les langues des parents. Or ce qui est sacré c’est la compréhension, le fait d’accéder à une information. Dans des écoles parisiennes, une expérience a lieu, deux heures par semaine, les parents sont invités à aller à l’école pour apprendre leur métier de parents d’élèves. Ils apprennent avec des traducteurs ce qu’est un carnet de correspondance, une coopérative... À chaque fois, cela représente pour les parents un grand honneur, ils en sont très satisfaits. Mais cela reste des expériences tout à fait marginales et pas généralisées.

- Comment généraliser la formation et mettre l’éducation à la diversité en priorité absolue ?

  • Une résolution du Parlement européen d’avril 2009 sur l’éducation des enfants de migrants en Europe a analysé l’ensemble des études à notre disposition sur la réussite des enfants de migrants à l’école dans toute l’Europe. Elle en a tiré certaines recommandations, une dizaine, qui s’imposent aux États mais qui pour l’instant ne sont mises en oeuvre que dans le Nord de l’Europe. Cette résolution préconise, entre autres, l’existence d’une diversité culturelle et sociale des enseignants à l’école.

- C’est de la discrimination positive ?

  • Oui on peut dire ça. C’est extrêmement difficile à mettre en place en France. On pourrait dire : les enseignants représentent la société et les enfants peuvent s’identifier à différents personnages. Cette présence d’une diversité culturelle supposerait que l’on fasse de la discrimination positive dans le recrutement des enseignants mais cela peut se faire autrement dans l’organisation d’équipes mixtes par exemple autour de projets pédagogiques. Une autre recommandation est de faire de l’éducation à la diversité culturelle une matière scolaire. C’est l’idée que dans notre société, il faut reconnaître les apports multiples qui la constitue, utiliser pour les analyser l’histoire, la géographie, la linguistique... et valoriser les liens entre ces apports, les métissages, le vivre ensemble... Cela suppose d’apprendre à enseigner cette diversité culturelle. Il y a beaucoup de travaux qui ont été réalisés sur le sujet. Un troisième point qui me semble très important est la reconnaissance de la langue des enfants et le fait qu’elle se traduit par la possibilité d’utiliser des compétences pour être des objets pédagogiques partagés avec l’ensemble de la classe. On a des exemples, des théories et des pratiques. Après, il faut une véritable volonté politique pour mettre en place tous ces ingrédients et les généraliser au sein de l’école française.
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