Rémi Brissiaud est titulaire d’une maîtrise de mathématiques et d’un doctorat en psychologie cognitive. Maître de conférences en psychologie cognitive à l’IUFM de Versailles il travaille au sein du Laboratoire Paragraphe (Paris 8) équipe : « Compréhension Raisonnement et Acquisition de Connaissances ».
Est-on certain qu’il y a eu une baisse du niveau en calcul ?
- Oui, la Direction à l’Evaluation et à la Prospective a comparé les performances d’un échantillon représentatif d’élèves de CM2 aux mêmes épreuves en 1987, 1997 et 2009. La baisse des performances est très significative et elle se produit dans la décennie 87-97. Après, on observe une stabilisation des performances.
Comment expliquer que la baisse se produise durant cette décennie ?
- Commençons par les causes qui doivent être rejetées. De 87 à 97 il n’y a ni fermetures de classes ni diminution du temps scolaire. La ghettoisation des banlieues n’est pas en cause, car les performances baissent autant chez les enfants des classes favorisées que chez les autres. Enfin, en 1987, les élèves calculent encore très bien, or on est plus de 15 ans après la réforme des maths modernes, qui ne sont donc pas à l’origine de la baisse des performances. C’est au contraire le retour à une méthode ancienne, rejetée depuis plusieurs décennies par les pédagogues, qui en est vraisemblablement à l’origine. L’enseignement de ce que j’ai appelé le « comptage-numérotage », où l’on insiste sur la correspondance terme à terme entre chaque mot de la comptine numérique et un nouvel objet compté. Si je prends des jetons par exemple, les très jeunes enfants disent : 1,2,3 etc. Aujourd’hui encore, sur le site Eduscol, lorsqu’un enfant de GS se trompe dans un dénombrement, le ministère donne comme conseil de rappeler à cet élève qu’il doit y avoir une correspondance un objet – un mot nouveau.
Pourquoi ne faudrait-il pas enseigner ainsi, comment faire autrement ?
- Parce qu’il se produit un phénomène que tous les enseignants de maternelle ont remarqué : on demande « Combien ? », l’enfant compte mais ne sait pas répondre. On repose la question… Dans tous les autres contextes, quand l’enfant dit des mots en pointant des objets (mur, chaise, table), chaque mot se rapporte à l’objet pointé. L’enfant comprend donc que lorsqu’il compte, il y a « le un », « le deux »… et il devrait comprendre que le dernier mot prononcé ne renvoie pas à l’objet pointé mais à la collection : il mesure la taille de la collection. Lorsqu’on enseigne ainsi, chaque mot est une sorte de numéro, il ne désigne pas une pluralité, un vrai nombre. De nombreux élèves apprennent à compter de manière mécanique.
Faut-il renoncer à enseigner le comptage ?
- Il faut l’enseigner plus tard et il faut enseigner le comptage dénombrement, c’est-à-dire un comptage où l’on insiste sur la correspondance entre chaque mot prononcé et la pluralité des unités déjà prises en compte. C’était d’ailleurs souvent recommandé dans les années 50.
Si cette pratique est ancienne, pourquoi l’a-t-on abandonnée ?
- Cet enseignement du comptage- dénombrement est abandonné en 1970 parce que la réforme des mathématiques modernes a pour effet que pendant presque 20 ans, il n’y a plus du tout d’apprentissage numérique à l’école maternelle. Cela a un effet modéré puisqu’en 1987, les élèves calculent encore bien. En revanche, quand le comptage est réhabilité, à partir de 1987, les pédagogues s’inspirent des travaux d’une psychologue américaine, Rochel Gelman et ils recommandent d’enseigner le comptage-numérotage. J’ai essayé à l’époque d’alerter sur les dangers de ce choix mais cela a eu un effet limité : l’enseignement du comptage-numérotage correspond à la pédagogie de sens commun défendu par l’institution.
En 1987, les CM2 calculaient mieux qu’aujourd’hui ?
- Oui, il est raisonnable de penser que l’enseignement du comptage- numérotage a un effet délétère sur les élèves les plus fragiles et que son enseignement à l’école maternelle est le pire choix pédagogique qui soit. C’est la raison pour laquelle, il y a 3 ans, j’ai essayé d’alerter les pédagogues en écrivant un petit livre intitulé « Premiers pas vers les maths ». Tous ses droits d’auteurs vont à une ONG qui construit des écoles. A une échelle beaucoup plus modeste, c’est une sorte d’ « Indignez- vous » dont le message est : attention, du point de vue de l’apprentissage du calcul, l’école maternelle va dans le mur. Et elle y va en chantant : « un, deux, trois… ».