Magistrat depuis 2004, Édouard Durand a exercé à Aix-en-Provence,
puis comme juge à Marseille, exerçant les fonctions de juge des enfants
et de juge aux affaires familiales Il est aujourd’hui. détaché comme
enseignant à l’École nationale de la magistrature pour les fonctions de
juge des enfants. Édouard Durand est l’auteur d’ouvrages sur le droit de
la famille dont le dernier paru aux éditions Esprit en mai 2012 : « La
place du pèr ! ».
Pourquoi vous êtes-vous
intéressé particulièrement
aux violences conjugales !?
- Avant d’enseigner à l’école
nationale de la magistrature, j’ai
été tour à tour juge des enfants,
juge aux affaires familiales, juge
au tribunal correctionnel. Dans
chacune de ces fonctions, j’ai pris
conscience de la fréquence très
importante des situations de violence
conjugale. Au moins 30 %
des dossiers qui m’ont été soumis
en tant que juge des enfants, qu’ils
aient trait à l’assistance éducative
ou à la délinquance des mineurs
relèvent de la violence conjugale.
En faisant quelques recherches, je
me suis aperçu que, particulièrement
en France, l’impact des violences
conjugales était assez peu
pris en considération et j’ai eu
envie d’en savoir plus pour mieux
adapter ma pratique professionnelle.
À partir de quel niveau
peut-on parler de violence
conjugale ?
- Les violences conjugales sont
de plusieurs formes : physiques,
psychologiques, sexuelles ou économiques.
Comme toute forme de
violence, il s’agit d’un modèle
appris car la violence n’est pas
naturelle mais culturelle. Les violences
conjugales s’inscrivent
donc dans des rapports de genre
inégalitaires entre les hommes et
les femmes. Il me semble qu’elles
doivent être pensées comme un
rapport de force : la violence est un
moyen utilisé par un sujet pour
obtenir le pouvoir sur un autre. Si
on ne part pas de là en matière de
violence conjugale, on va se heurter
à des diversions successives
pour la dénier : ce pourra être « elle
l’a bien cherché » ou « c’est culturel
» ou bien « l’homme est violent
physiquement mais la femme l’est
de façon beaucoup plus pernicieuse
et ça ne se voit pas » ou
encore « pourquoi elle reste ? ». Il
faut évacuer toutes ces diversions
car les études montrent que les
violences conjugales ont sur la
mère et les enfants des impacts
traumatiques considérables.
C’est un sujet difficile à
aborder sereinement
- Pour le professionnel, cela suppose
déjà se confronter à l’intimité
familiale et à ses propres représentations
du couple et de la
famille. Il doit aussi aller contre la
peur de chacun face à la violence
et face à la réponse qu’il doit lui
donner. C’est peut-être cette peur
qui conduit à une forme de déni
que certains auteurs ont pu qualifier
de complicité institutionnelle.
Les juges ne sont pas les
seuls professionnels
confrontés à ces situations ?
- Non, les questions que se
posent les juges peuvent intéresser
les thérapeutes, les éducateurs
et les assistants sociaux du champ
de la protection de l’enfance mais
aussi les enseignants. Pour le juge,
les violences conjugales peuvent
être identifiées et révélées au
moment d’une plainte mais très
souvent il y est confronté à partir
des conséquences sur le développement
des enfants. Cette dernière
situation concerne aussi les
enseignants. Il faut donc s’interroger
sur les signes de l’exposition
des enfants à la violence conjugale.
Comment leurs comportements,
leurs apprentissages, les
symptômes de souffrance somatico-
psychiques peuvent être des
indicateurs de cette exposition.
Comment repérer ces
signes ?
- Il y a des signes spécifiques qui
sont associés au syndrome de
stress post-traumatique : cauchemars,
réminiscences, pensées
envahissantes... et puis des signes
non spécifiques. Certains relèvent
d’atteintes à soi-même comme
l’énurésie, la dépression, d’autres
sont dirigés vers l’extérieur
comme l’agitation, l’incapacité à
se concentrer, le refus de reconnaître
l’autorité d’une femme...
Pour un juge comme pour un
enseignant, c’est essentiel de
savoir analyser ces phénomènes
et faire le lien avec le contexte de
vie de l’enfant.
Comment peuvent intervenir
les enseignants ?
- Il me paraît essentiel que les
enseignants et les autres professionnels
qui travaillent avec les
enfants puissent réfléchir en
équipe lorsqu’ils sont confrontés
à ces situations. Il est surtout
important qu’ils comprennent le
fonctionnement du phénomène
des violences conjugales et ses
ressorts. En termes d’action, ce
qui me semble prioritaire, c’est de
nommer le fait. La violence vient
toujours nous confronter au langage.
Si la violence n’est pas désignée
par un tiers, il est impossible
de la penser et donc d’entrevoir
d’autres possibilités. Il faut donc
dans la mesure du possible, utiliser
les instances qui permettent
de dialoguer avec les enfants et
leur famille pour parvenir à nommer
les faits. L’école a, en ce
domaine, un rôle majeur de prévention
et d’éducation comme le
prévoit la loi du 9 juillet 2010 [1].