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"La violence vient toujours nous confronter au langage"

mardi 21 mai 2013
Mis à jour le lundi 25 février 2013

Magistrat depuis 2004, Édouard Durand a exercé à Aix-en-Provence, puis comme juge à Marseille, exerçant les fonctions de juge des enfants et de juge aux affaires familiales Il est aujourd’hui. détaché comme enseignant à l’École nationale de la magistrature pour les fonctions de juge des enfants. Édouard Durand est l’auteur d’ouvrages sur le droit de la famille dont le dernier paru aux éditions Esprit en mai 2012 : « La place du pèr ! ».

- Pourquoi vous êtes-vous intéressé particulièrement aux violences conjugales !?

  • Avant d’enseigner à l’école nationale de la magistrature, j’ai été tour à tour juge des enfants, juge aux affaires familiales, juge au tribunal correctionnel. Dans chacune de ces fonctions, j’ai pris conscience de la fréquence très importante des situations de violence conjugale. Au moins 30 % des dossiers qui m’ont été soumis en tant que juge des enfants, qu’ils aient trait à l’assistance éducative ou à la délinquance des mineurs relèvent de la violence conjugale. En faisant quelques recherches, je me suis aperçu que, particulièrement en France, l’impact des violences conjugales était assez peu pris en considération et j’ai eu envie d’en savoir plus pour mieux adapter ma pratique professionnelle.

- À partir de quel niveau peut-on parler de violence conjugale ?

  • Les violences conjugales sont de plusieurs formes : physiques, psychologiques, sexuelles ou économiques. Comme toute forme de violence, il s’agit d’un modèle appris car la violence n’est pas naturelle mais culturelle. Les violences conjugales s’inscrivent donc dans des rapports de genre inégalitaires entre les hommes et les femmes. Il me semble qu’elles doivent être pensées comme un rapport de force : la violence est un moyen utilisé par un sujet pour obtenir le pouvoir sur un autre. Si on ne part pas de là en matière de violence conjugale, on va se heurter à des diversions successives pour la dénier : ce pourra être « elle l’a bien cherché » ou « c’est culturel  » ou bien « l’homme est violent physiquement mais la femme l’est de façon beaucoup plus pernicieuse et ça ne se voit pas » ou encore « pourquoi elle reste ? ». Il faut évacuer toutes ces diversions car les études montrent que les violences conjugales ont sur la mère et les enfants des impacts traumatiques considérables.

- C’est un sujet difficile à aborder sereinement

  • Pour le professionnel, cela suppose déjà se confronter à l’intimité familiale et à ses propres représentations du couple et de la famille. Il doit aussi aller contre la peur de chacun face à la violence et face à la réponse qu’il doit lui donner. C’est peut-être cette peur qui conduit à une forme de déni que certains auteurs ont pu qualifier de complicité institutionnelle.

- Les juges ne sont pas les seuls professionnels confrontés à ces situations ?

  • Non, les questions que se posent les juges peuvent intéresser les thérapeutes, les éducateurs et les assistants sociaux du champ de la protection de l’enfance mais aussi les enseignants. Pour le juge, les violences conjugales peuvent être identifiées et révélées au moment d’une plainte mais très souvent il y est confronté à partir des conséquences sur le développement des enfants. Cette dernière situation concerne aussi les enseignants. Il faut donc s’interroger sur les signes de l’exposition des enfants à la violence conjugale. Comment leurs comportements, leurs apprentissages, les symptômes de souffrance somatico- psychiques peuvent être des indicateurs de cette exposition.

- Comment repérer ces signes ?

  • Il y a des signes spécifiques qui sont associés au syndrome de stress post-traumatique : cauchemars, réminiscences, pensées envahissantes... et puis des signes non spécifiques. Certains relèvent d’atteintes à soi-même comme l’énurésie, la dépression, d’autres sont dirigés vers l’extérieur comme l’agitation, l’incapacité à se concentrer, le refus de reconnaître l’autorité d’une femme... Pour un juge comme pour un enseignant, c’est essentiel de savoir analyser ces phénomènes et faire le lien avec le contexte de vie de l’enfant.

- Comment peuvent intervenir les enseignants ?

  • Il me paraît essentiel que les enseignants et les autres professionnels qui travaillent avec les enfants puissent réfléchir en équipe lorsqu’ils sont confrontés à ces situations. Il est surtout important qu’ils comprennent le fonctionnement du phénomène des violences conjugales et ses ressorts. En termes d’action, ce qui me semble prioritaire, c’est de nommer le fait. La violence vient toujours nous confronter au langage. Si la violence n’est pas désignée par un tiers, il est impossible de la penser et donc d’entrevoir d’autres possibilités. Il faut donc dans la mesure du possible, utiliser les instances qui permettent de dialoguer avec les enfants et leur famille pour parvenir à nommer les faits. L’école a, en ce domaine, un rôle majeur de prévention et d’éducation comme le prévoit la loi du 9 juillet 2010 [1].

Notes

[1] LOI n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes

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