Françoise Delpy, enseignante de secondaire en Allemand, puis maître de conférences à l’IUFM Nord/ Pas-de-Calais. Elle travaille sur la didactique scolaire des langues vivantes étrangères.

L’enseignement des langues vivantes à l’école est-il satisfaisant ?
- On ne met pas assez en avant ce qui marche bien. Je vois couramment dans les classes des enfants qui participent avec beaucoup d’intérêt et de plaisir à ce qui leur est proposé, des enfants qui savent déjà beaucoup de choses. Les enseignants chargés de l’allemand, minoritaires, sont certes particulièrement motivés et convaincus, mais si, au niveau européen, on a fait le choix de confier aux professeurs des écoles l’enseignement de la langue vivante étrangère, c’est justement parce qu’ils connaissent parfaitement le public auxquels ils s’adressent et sont très au point sur le plan pédagogique. De plus, les pratiques se sont diversifiées : on assiste à une introduction raisonnée de l’écrit, à des moments d’observation de la langue et de conscientisation des apprentissages. Il me paraît extrêmement important que les enfants « sachent qu’ils savent ». Je trouve aussi que l’on est en progrès sur la continuité école-collège.
Quelles évolutions pour la formation des enseignants ? Faut-il un meilleur niveau de langue ?
- Le meilleur niveau de langue possible ! Mais les progrès en langue demandent beaucoup de temps et l’acquis doit être entretenu. C’est comme le sport, quand vous cessez de vous entraîner vous régressez. Il faut se servir régulièrement des outils langagiers pour en maintenir la maîtrise. Ce que je reproche aux certifications de type CLES c’est qu’elles ne sont pas adaptées à ce dont un PE a besoin pour dispenser l’enseignement d’une LVE dans sa classe. Le CLES 2 a été conçu pour des étudiants se préparant à effectuer un séjour dans une université étrangère. Or, un professeur des écoles a par exemple besoin de maîtriser « la langue de la classe » : consignes, lexique du matériel et des activités scolaires, etc. Pour ce qui est de la syntaxe, il a besoin de pouvoir produire des énoncés en général brefs. Pourquoi, surtout en formation initiale, consacrer tant de temps à des entraînements finalement peu utiles, du moins en début de carrière et peut-être au-delà ?
Et la formation didactique ?
- Sur ce plan, on est en train de franchement régresser. En 1993, lorsque j’ai commencé à exercer en IUFM, les plans de formation comportaient suffisamment d’heures pour un travail linguistique et didactique. (Les deux sont d’ailleurs liés.) Que doit comprendre une formation didactique ? Des savoirs mais également une pratique qui fait l’objet d’une observation réfléchie. J’ai connu une forme de travail privilégiée avec les ateliers de pratique pédagogique : les PE2 commençaient par observer une séance de langue puis menaient les séances suivantes. Le professeur de la classe restait présent y compris à l’issue du cours pour participer à son analyse et à la préparation de la suite. Depuis cette année de tels dispositifs ne peuvent plus être mis en place.
La LVE est à la fois discipline et moyen de communication, cela pose-t-il des problèmes spécifiques ?
- Il me paraît souhaitable que les enseignants mènent l’essentiel de leur séance dans la langue cible – ce qui n’exclut pas des recours ponctuels au français. La conséquence est que cela les place, surtout en début de carrière, dans une insécurité maximale. L’enseignement des langues est particulier puisque le professeur est amené à gérer des activités et à faire progresser ses élèves dans une langue qui n’est pas la sienne. D’où la nécessité, en formation, d’automatiser un maximum de « gestes linguistiques ».
Que pensez-vous du système allemand ?
- En Allemagne, la masterisation n’a en rien supprimé la formation sur le terrain. L’école élémentaire ne comporte en général que 4 classes, 6 dans certains Länder. L’enseignement de la LVE est assuré partout dans les 3ème et 4ème classes (CE2 et CM1) et dans certains Länder dès la 1ère classe. Ni la formation des enseignants, ni l’enseignement des LVE ne sont au cœur des débats actuels en Allemagne. Les résultats aux premiers tests PISA (2000) y ont été un véritable traumatisme et beaucoup de choses sont faites pour améliorer le niveau scolaire des élèves allemands, en particulier de ceux issus de l’immigration dont la « langue maternelle » n’est pas l’allemand. Une réflexion intéressante est menée sur les possibles articulations entre l’enseignement de la langue vivante étrangère et celui de la langue d’origine, entre le travail d’intégration de ces jeunes et les objectifs de l’enseignement des LVE.
Vidéo :
Françoise Delpy | Langues vivantes : automatiser les « gestes linguistiques » from SNUipp-FSU on Vimeo.