Catherine Ledrapier, professeure de sciences physiques, elle a enseigné en IUFM. Elle est chercheure, docteure en sciences de l’éducation au laboratoire STEF École Normale supérieure de Cachan et à l’INRP. Elle s’est intéressée à l’apprentissage des sciences dès la maternelle.

Une véritable éducation scientifique est-elle possible à la maternelle ?
- Je réponds oui. Les rares didacticiens qui se sont penchés sur les activités scientifiques à la maternelle ont pensé qu’une simple familiarisation suffisait : on trouve dans les programmes une découverte du monde, non pas un apprentissage ni un enseignement. Or, on sait que les apprentissages effectués à cet âge sont très importants pour la réussite scolaire ultérieure et les recherches en psychologie cognitive montrent que les enfants, même beaucoup plus jeunes, ont des compétences que l’on ne soupçonnait pas. La France est restée très marquée par Piaget, sa théorie des stades et celle de l’apprentissage par l’action. Il faut reconsidérer, didactiquement parlant, ce que signifie apprendre en sciences à cet âge.
La maîtrise du langage n’est-elle pas un obstacle à cet âge ?
- On pensait qu’il fallait que les enfants soient capables de dire ce qu’ils faisaient. Or, sans être totalement conceptualisés au sens strict puisque non formalisés, beaucoup de concepts peuvent être travaillés. Dans un premier temps, il y a apprentissage au niveau corporel, grâce au vécu collectif et aux échanges, il y a acquisition de « concepts en actes ». Placer les mots sans références suffisantes n’avance à rien : cela reste alors des mots creux, vides de signification. Les activités langagières permettent de se décoller de l’action mais aussi d’y revenir. Inutile d’attendre une maîtrise du langage : l’élaboration est conjointe et réciproque. L’articulation entre pratiques langagières et vécu collectif est nécessaire pour l’élaboration conceptuelle.
Quelle est votre démarche ?
- Il ne s’agit pas de projeter ce qui se fait à l’école élémentaire en le réduisant, ni de faire une « leçon de sciences » de type - observation-question- hypothèse- expérience- conclusion, caricaturale d’une science par ailleurs révolue. J’ai adapté les différentes caractéristiques de ce que signifie apprendre en sciences au XXIème siècle, en proposant des « activités scientifiques » pour des élèves de 3 et 5 ans. Mes recherches montrent qu’une éducation scientifique est tout à fait faisable en maternelle, mais qu’elle nécessite une toute autre formation des enseignants.
Que proposez-vous ?
- Je propose un travail sur cinq axes, et j’en ai vérifié la faisabilité. Les trois premiers concernent les différentes démarches de découvertes : découverte d’un phénomène ; découverte que les effets sont variables et qu’il y a des facteurs de variation ; découverte des relations. Le quatrième axe concerne la modélisation. Pour des enfants de 3 à 5 ans cela signifie essayer de participer à la construction d’une explication (et non comprendre l’explication de l’enseignant), prédire des évènements (en s’appuyant sur le modèle élaboré), et enfin être capable de changer consciemment d’avis quand cette prédication ne marche pas ! C’est très difficile, mais quand ils sont pris dans une activité collective ils sont capables de se dépasser. Le cinquième axe est la problématisation. Bachelard a dit que l’important c’était de savoir poser des questions, beaucoup plus que les résoudre. Or à l’école c’est toujours l’enseignant qui pose les questions. Qu’est-ce que problématiser à l’école maternelle ? Les problèmes pratiques, comme par exemple vouloir faire couler un objet qui ne veut que flotter, ne sont pas des problèmes scientifiques mais la réussite débouche sur des « concepts en acte » de physique et la démarche part des défis que se donnent les enfants. Il y a donc déjà une prise en charge du problème, même s’il reste concret. Ensuite on peut aller plus loin et passer à une réelle problématisation, d’un problème concret à un problème « théorique » avec justification et /ou argumentation.
Pouvez-vous donner un exemple ?
- On choisit 10 balles à faire rouler sur un plan incliné et on demande quelles sont les 3 qui vont arriver les premières. Les résultats et les dispositifs diffèrent selon les groupes d’enfants et la problématisation intervient quand on leur demande de justifier leur réponse. Quelques mots et des gestes attestent du processus de justification des élèves, de l’activité intellectuelle mise en œuvre. Tout ceci demande une réelle formation pour éviter les explications de phénomènes par l’adulte et éviter une pseudo démarche scientifique. L’éducation scientifique à cet âge n’est pas de faire acquérir certains savoirs ni d’appliquer une méthode inflexible, mais de les faire entrer dans un type d’activité intellectuelle caractéristique des sciences.
Bibliographie :
Apprendre à l’école. Bautier E. (dir.). 2006. Lyon : Chronique sociale. Découvrir le monde des sciences à l’école maternelle : quels rapports avec les sciences ? Lyon INRP. 2010 Ouvrage en cours proposant des pratiques pour l’école maternelle, sous la direction de Christine Passerieux. A paraître fin 2010 chez Chronique sociale.
Vidéo :
Catherine LEDRAPIER : « Une éducation scientifique dès l’école maternelle : Quels enjeux ? Quelles pratiques ? » from SNUipp-FSU on Vimeo.