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Mathématiques, se réapproprier les petits nombres

mardi 17 décembre 2013
Mis à jour le mardi 10 décembre 2013

Pour Rémi Brissiaud, spécialiste reconnu de l’enseignement des mathématiques au primaire, l’apprentissage trop précoce du comptage se paye au prix fort dans la scolarité. Les procédures complexes qui sont en jeu, d’abord en maternelle, puis au CP, ne peuvent être durablement acquises qu’en donnant toute son importance à l’apprentissage des petits nombres et à la décomposition, sur le long terme et dans une progressivité maîtrisée.

Une étude récente de la DEPP montre qu’en mathématiques, les élèves qui rentrent au CP ont progressé entre 1997 et 2011. Comment l’expliquez-vous ? RM. Pour interpréter un tel résultat, il faut se reporter aux épreuves utilisées. Elles ont été élaborées en 1997 par des collègues psychologues qui, à l’époque, pensaient que les enfants comprennent précocement le comptage tel qu’il est enseigné par les familles. Ces épreuves évaluent seulement l’habileté à compter dans des contextes stéréotypés. Elles ne permettent même pas d’apprécier une connaissance approfondie des premiers nombres . Aujourd’hui, les chercheurs en psychologie s’accordent pour penser qu’un tel enseignement du comptage, dans un premier temps, fait entrer les enfants dans une mécanique sans signification. Il est presque certain que les mêmes collègues, sollicités en 2011, n’auraient pas construit les mêmes épreuves. Pour faire des comparaisons entre générations d’élèves, la DEPP a besoin de stabilité dans les épreuves utilisées. Malheureusement, dans le cas de cette étude, celles qui avaient été élaborées en 1997 étaient obsolètes en 2011. Pire : elles évaluent le résultat d’un entraînement qui éloigne de nombreux élèves d’une bonne compréhension des nombres. Le plus probable est que les résultats de cette étude soient de « faux bons résultats ».

Quelle distinction faites-vous entre l’apprentissage du comptage qui est fait par les familles et celui qui devrait être dispensé par l’école ? RM. À l’école, les enfants devraient apprendre les premiers nombres progressivement en s’appuyant sur leurs décompositions : 2 cubes, c’est 1 cube et encore 1 cube ; 3 cubes, c’est 2 cubes et encore 1 cube ou bien 1 cube, 1 autre cube et encore 1 autre ; 4 cubes, c’est 3 cubes et encore 1 cube… Lorsqu’un enfant apprend ainsi progressivement, il apprend que lors d’un comptage, chaque mot prononcé exprime le résultat de l’ajout d’une nouvelle unité : 1 et encore 1, 2 ; et encore 1, 3 ; et encore 1, 4. Piaget appelait cette propriété l’additivité du comptage. En revanche, les familles enseignent le plus souvent aux enfants à être attentif à la correspondance 1 mot – 1 objet, ce qui conduit à un « comptage-numérotage » : « le 1, le 2, le 3, le 4… ». En masquant l’additivité du comptage, cette façon de l’enseigner fait obstacle à sa compréhension.

Vous évoquez 4 points-clés pour améliorer les compétences numériques des élèves. Quels sont-ils ? Pourquoi les avoir identifiés comme tels ? RM. Les 3 premiers points-clés préconisent d’insister à l’école sur ce que les enfants n’apprendraient pas s’ils ne la fréquentaient pas : ils n’apprendraient pas à compter comme cela vient d’être décrit, ils apprendraient que 137 = 100 + 30 + 7 (ça s’entend !) mais ils n’apprendraient pas que c’est aussi 13 dizaines + 7, ils n’apprendraient pas précocement à trouver le résultat de 12 – 9 par une stratégie de complément (le résultat est 3 parce que 9 + 3 = 12). Pour trouver le résultat d’une soustraction, les enfants découvrent facilement l’usage du comptage à rebours mais pas celui de cette stratégie. Dans le 4e point, je signale que lorsqu’un enfant échoue à résoudre un problème, il est facile de savoir si cela provient d’une incompréhension de l’énoncé : l’échec, dans ce cas, trouve son origine en amont de la mobilisation de connaissances arithmétiques, il a partie liée avec les connaissances langagières de l’enfant.

Comment se présenteraient des programmes prenant mieux en compte ces points-clés ? RM. Très souvent, il conviendrait d’aller moins vite mais de mettre d’emblée à la disposition des élèves, des stratégies de haut niveau : il est plus important d’entrer au CP en comprenant de manière approfondie les premiers nombres que de savoir compter loin. Par exemple, comprendre de manière approfondie le nombre 5, c’est savoir que 5 cubes, c’est 3 cubes et encore 2 cubes. Il est préférable de demander aux élèves de faire fonctionner un certain temps la connaissance « 137, c’est 13 dizaines + 7 » dans le domaine des 200 premiers nombres plutôt que de se dépêcher d’enseigner les nombres jusqu’à 1000. Ou d’enseigner l’usage de stratégies de haut niveau pour les soustractions élémentaires (12 – 9…), plutôt que de se dépêcher d’enseigner la technique en colonnes à des élèves qui ne font que compter. Plus rarement, mais c’est tout aussi fondamental, il faut aller moins vite pour une autre raison : s’assurer que les élèves ont les connaissances langagières nécessaires au progrès. Propos recueillis par Virginie Solunto

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