Alexandre Ployé a été treize ans professeur d’histoire-géographie dans plusieurs collèges de Région parisienne. Puis, formé à la prise en charge des élèves handicapés, il a enseigné l’histoire à des élèves d’UPI (ULIS). Cette expérience lui a permis de réfléchir aux difficultés propres à l’apprentissage de l’histoire et à celles de son enseignement. Devenu ensuite formateur d’enseignants spécialisés, notamment de SEGPA, avec lesquels il expérimente des dispositifs d’enseignement de l’histoire auprès d’élèves en grande difficulté, il est actuellement responsable des formations ASH pour l’IUFM de l’académie de Créteil (UPEC). Il est par ailleurs doctorant en sciences de l’éducation à Paris VIII, l’école inclusive constituant son champ de recherche. Enfin, il co-dirige actuellement l’écriture de manuels scolaires en histoire.
L’enseignement de l’histoire ne va, selon vous, pas de soi ?
- Quand on observe certaines pratiques en classe, l’Histoire apparaît quelquefois comme une succession d’événements qu’il suffirait de posséder, une approche qu’on pourrait résumer par « l’Histoire ça se transmet et ça s’apprend ». Les enseignants sont porteurs de cette représentation comme le reste de la population. Or, non, l’Histoire, ça ne va pas de soi. La maitrise du vaste matériau historique est complexe. Si on observe les élèves, on se rend compte que l’apprentissage de l’histoire soulève des besoins d’apprentissage d’ordres cognitif, psycho-affectif et culturel.
Le récit, pratique courante, pose-t-il des difficultés particulières ?
- La question du récit me semble emblématique. Il est considéré comme une constante anthropologique ; il apparaît naturel de raconter des histoires en Histoire. Cette « naturalité » du récit peut s’avérer un piège pour nombre d’élèves ne maîtrisant pas les compétences attachées à l’usage du récit. Compétences liées à la construction du temps, à la maîtrise de la langue et des concepts sousjacents à l’Histoire, ou liées encore aux opérations cognitives qui découlent des deux compétences majeures composant le récit que sont « raconter » et « expliquer ». Les élèves éprouvent parfois des difficultés dans l’organisation logique et conceptuelle de ce qu’ils racontent.
Qu’en est-il des difficultés psycho-affectives et culturelles ?
- Mon intérêt se portant sur les élèves à besoins spécifiques, relevant du handicap mental, j’ai pu constater chez eux des difficultés qu’on pourrait croire singulières : négation ou écrasement du passé, dilatation du présent, confusion entre fiction (voire fantaisie) et réalité, etc. Or ces constats me paraissent avoir une valeur heuristique pour penser les difficultés de certains élèves ordinaires à construire le temps historique. Il n’est pas rare de rencontrer encore au collège des élèves incapables de penser l’histoire en dehors de leur expérience propre. Ils n’ont pas construit de représentation chronologique de l’histoire et ne relient pas les événements entre eux. Les enjeux mémoriels de l’enseignement de l’Histoire, analysant le passé à l’aune des valeurs du présent peuvent aggraver ces difficultés. L’histoire que l’on enseigne révèle le point de vue du pays où elle s’enseigne. Or, beaucoup de nos élèves portent des visions de l’histoire différentes qui peuvent créer un choc entre des visions du monde différentes. Ce n’est pas nouveau, et l’école laïque a connu des tensions entre la République et l’Eglise au début du 20e. Mais ce rapport à la matière historique doit être pris en compte car l’histoire n’est pas neutre.
Quelles pratiques les enseignants peuvent-ils mettre en place pour aider les élèves ?
- La démarche que je travaille notamment avec les enseignants de SEGPA vise à mettre en intrigue la matière historique par le récit et à articuler ces récits à des concepts. Par exemple, il est difficile de travailler les 18 et 19e siècles en visant à l’exhaustivité. Si on enseigne une période sans indiquer quels concepts l’organisent, on risque de créer des archipels de savoirs que les élèves ne seront pas capables de relier entre eux. Ils seront capables de citer Louis XIV, monarque absolu, et le 14 juillet 1789 mais ils ne verront pas que ce qui définit le passage de l’un à l’autre, c’est le renversement de l’idée de souveraineté. L’usage problématisé du récit par l’enseignant en lien avec des concepts universels me semble important pour les élèves. Cela lui offre également la possibilité « d’ordonner » les programmes.
Les programmes ne devraient-ils pas guider les enseignants en ce sens ?
- Les programmes proposent une vision spiralaire des périodes historiques, ils mettent en avant le récit voire font allusion à des concepts. Mais ils ne sont pas explicites en termes de démarches didactiques et laissent les enseignants démunis. De même la formation ne travaille pas suffisamment la didactique de l’histoire. Le manque de temps contraint parfois les formateurs à se focaliser sur la remise à niveau en termes de contenus, quitte à perdre de vue les autres aspects.