
En quoi la pédagogie coopérative présente- t-elle quelque chose de nouveau aujourd’hui ?
- Il y a quelque chose de nouveau par rapport à la conjoncture actuelle de l’état de la société et à la notion de solidarité. Dès le plus jeune âge, en permettant aux enfants de travailler de manière coopérative, on leur propose de se préparer à d’autres formes d’engagement social que dans des situations où l’on pense d’abord à soi... Il y a aussi une autre dimension autour du fonctionnement par compétences qui donne la possibilité, parce que le maître travaille par petits groupes de besoins, de travailler de manière coopérative. Ça ne veut pas dire « tous ensemble autour du même projet » mais permettre aux élèves qui sont déjà titulaires d’une compétence, de mettre au service de leurs copains leur propre maîtrise de cette compétence.
L’approche par compétences est aussi mise en avant par les libéraux...
- Ce n’est pas parce que le projet par compétences est à la base libéral qu’on ne peut pas en faire quelque chose d’intéressant du point de vue démocratique dans les classes. L’approche coopérative est un dispositif qui complète l’approche complètement sauvage et libérale des compétences telles qu’on essaie de nous les faire gober. Ces situations responsabilisantes pour les enfants sont aussi des lieux d’éducation à l’humanité.
Quelle mise en œuvre concrète dans la classe ?
- Il n’y a pas de recette type. Dans ma pratique, je m’appuie beaucoup sur la notion de démocratie. Avant de rentrer dans une discussion philosophique on a besoin d’une assise démocratique assez forte pour que chacun – et pas seulement le plus à l’aise dans la parole ou le plus charismatique – ait accès de manière équitable à la parole. Il y a un enfant qui a la responsabilité de la présidence de séance, un autre qui reformule les propos qui sont tenus, un autre qui synthétise, d’autres qui sont en position d’observation... Cette organisation démocratique permet à chacun de participer aux échanges. Il s’agit d’apprendre la citoyenneté en la vivant et non pas simplement par de l’instruction civique.
Y-a-t-il des exigences propres à l’activité philosophique ?
- Le but est que l’enfant puisse se construire une pensée personnelle. Pour entrer vraiment dans une pensée philosophique et ne pas se limiter à une discussion à bâton rompu, il y a des exigences propres qui sont introduites par l’enseignant. Ce n’est pas parce qu’on parle qu’on pense. Ce n’est pas parce qu’on se tait qu’on ne pense pas. Je m’appuie essentiellement sur les travaux de Michel Tozzi qui propose une matrice articulant 3 processus : l’argumentation ; la conceptualisation ; la problématisation. En maternelle, les enfants ont plein d’exemples pour établir une différence entre « copain » et « ami » qui permettent de définir chaque concept. Bien-sûr ces activités ne sont pas naturelles. Il s’agit de compétences à acquérir et seul l’intermédiaire d’un adulte qui guide et soutient permet d’avoir recours à ces exigences.
Les questionnements émanent des situations de classes ?
- Il y a un danger à partir de la vie de classe car on risque d’introduire une confusion sur la finalité de l’objectif. Par exemple, si on part des problèmes de violences dans la cour de récréation pour « pacifier » les rapports, on ne philosophe pas, les élèves n’apprennent pas précisément à penser... Les sujets de vie de classe, pourquoi pas, mais à condition qu’ils ne soient pas à trop forte teneur affective au risque d’en rester aux faits et d’empêcher de dépasser les antagonismes entre individus du groupe. La littérature de jeunesse foisonne de supports suscitant le débat d’interprétation et s’intéressant de manière formelle à des concepts. Je pense à Yakouba de Thierry Dedieu notamment mais il y en a d’autres... Pour déclencher des discussions on peut aussi mettre une boîte dans l’école, dans la classe, et laisser les enfants y déposer toutes les questions qu’ils se posent, en leur expliquant qu’on ne pourra pas forcément y répondre... mais qu’on s’y intéressera.
Etes-vous confronté à des questions difficiles, voire tabou ?
- J’ai rencontré des questions difficiles, notamment autour de la mort, d’un animal de compagnie ou d’un proche, des questions autour de la sexualité et puis des questions autour de la religion : quelle est la religion la plus vraie ? Dieu existe-t-il ? Ce sont des questions que certains enfants ne peuvent pas s’autoriser à poser à la maison. Un des objectifs sur la question de la religion en philosophie avec des enfants est de les amener par exemple à distinguer « croire » de « savoir » : ils ne repartent pas chez eux en disant « le maître il a dit que... » mais en disant « j’ai appris que j’avais le droit d’avoir ma religion, mais par contre personne chez les humains n’a de preuve... » C’est la force de l’activité philosophique de permettre de poser ces questions difficiles.
Bibliographie :
Apprendre avec les pédagogies coopératives – Démarches et outils pour l’école, ESF Editeur, 2009 Débattre à partir des mythes, à l’école et ailleurs, avec M. TOZZI, Chronique Sociale, 2006
Vidéo :
Sylvain CONNAC : « Des discussions à visée philosophique pour apprendre à penser et coopérer » from SNUipp-FSU on Vimeo.