Michel Fayol est professeur émérite à l’Université de Clermont
Blaise-Pascal & CNRS (Laboratoire de psychologie sociale et cognitive).
Il fut auparavant instituteur, maître assistant à l’USTL de Montpellier
puis professeur des Universités à Dijon, puis Clermont. Il enseigne la
psychologie cognitive du développement et de l’apprentissage et a
dirigé de nombreuses recherches relatives aux apprentissages : lecture, orthographe, arithmétique...
Il est notamment l’auteur de L’acquisition du nombre aux Presses
Universitaires de France, Paris, 2012.
Quand les enfants arrivent à
l’école, ils ne sont pas
vierges de toute
compétence arithmétique.
- Quand les enfants arrivent à
l’école, c’est à dire vers l’âge de
deux ou trois ans, le bagage se
situe à deux niveaux différents.
D’abord à un niveau non verbal
qui se traduit par deux capacités
différentes : l’une qui leur permet
de différencier perceptivement
de toutes petites collections (2 de
3 par exemple), et l’autre plus
générale qui leur permet de différencier
des collections d’objets
de toutes sortes à condition que
le rapport entre les deux soit suffisamment
grand, de 1 à 2 (entre
8 et 16 ou 16 et 32), mais pas de
2 à 3 (entre 8 et 12 ou 18 et 24).
La différenciation des quantités
reste approximative. Ce premier
système non verbal, nous le partageons
avec les animaux. Il est
en place très tôt, même chez les
bébés. Et puis il y a un deuxième
système à base symbolique et qui
est très précis. Il repose sur le fait
qu’on a des suites de symboles
qui avancent par un (un et puis
deux et puis trois...). Alors que le
premier est très dépendant de
contraintes biologiques, ce
second système est culturel et
varie d’une culture à une autre,
d’une langue à une autre et bien
évidemment d’un milieu social à
un autre. Le second système,
affecté par les différences
sociales, est celui sur lequel
l’école peut avoir prise.
À l’école maternelle, quels
sont les apprentissages qui
sont possibles et
souhaitables !?
- L’évolution de la représentation
et de l’utilisation des symboles
pour marquer la quantité,
la cardinalité est extrêmement
lente et même à un point inattendu.
Un enfant apprend des
centaines de mots chaque année,
on aurait pu s’attendre à ce que
ces mots très simples liés aux
quantités soient appris rapidement.
Or ce que montrent toutes
les études, c’est que les enfants
mettent très longtemps pour
faire la différence entre les quantités
auxquelles renvoient 1 et 2,
2 et 3 ou 4 et 5. Cela suggère qu’il
y a, de façon sous-jacente, des
obstacles importants. Si l’école
maternelle doit faire quelque
chose, elle doit le faire avec précaution,
avec lenteur et avec une
grande sensibilité au développement
des enfants. Le plus important
est la variété des activités sur
les très petites quantités, le
temps important qu’on doit passer
à reprendre ces petites quantités
pour les intégrer dans des
activités diverses et ainsi asseoir
ces apprentissages de base avant
de se lancer dans des apprentissages
plus formels qui n’ont leur
place à l’école qu’à partir du CP.
Les apprentissages
doivent-ils être
systématisés ?
- Je suis convaincu que la systématisation
des apprentissages
est importante mais aux yeux des
élèves ce caractère pourrait ne
pas apparaître. L’important est
qu’ils aient des activités ludiques
qui les amènent à rencontrer des
situations nouvelles posant des
problèmes arithmétiques qu’ils
sont appelés à résoudre. Mais que
ces activités puissent prendre un
tour presque formel me paraît
problématique. Il faut que nous
soyons capables de mettre au
point des activités qui aient pour
les enfants un caractère ludique,
intéressant, et en même temps
qui permettent aux enseignants
de viser la systématisation. Les
enfants ne doivent pas sentir le
caractère systématique alors que
les enseignants doivent être très
clairs sur la nécessité de cette
dimension. La formation initiale
mais aussi continue devrait permettre
aux enseignants de se
réunir pour construire des outils
avec les chercheurs. Il y a nécessité
d’une interaction entre
recherche et formation.
Quelle est la place de la
manipulation à l’école
maternelle ?
- La manipulation qui est possible
à l’école maternelle avec de
nombreuses situations va favoriser
la construction du nombre et
la mémorisation de certains résultats.
Ces manipulations doivent
être systématiques et régulières
mais doivent rester dans un cadre
ludique. Une autre activité très
importante est celle de la simulation
: l’enfant joue mais de façon
proche du théâtre, il met en scène
plus qu’il ne joue et par là même
il cherche à modéliser, ce qui n’est
pas nécessairement le cas dans la
manipulation. La simulation relève
d’un processus plus élaboré et
s’apparente au « faire semblant ».
Cela correspond bien à la période
de scolarisation à l’école maternelle
et ce sont des activités auxquelles
les enfants peuvent se
livrer dès 2 ans, 2 ans et demi. La
maternelle est la période de la
manipulation et de la simulation
et on peut aller jusqu’à des jeux
plus sophistiqués du type « on
joue à la marchande ».