Accueil du site > > Les apprentissages par domaines d’enseignement > Mathématiques > "Précaution, lenteur et sensibilité"

"Précaution, lenteur et sensibilité"

mardi 16 avril 2013
Mis à jour le lundi 25 février 2013

Michel Fayol est professeur émérite à l’Université de Clermont Blaise-Pascal & CNRS (Laboratoire de psychologie sociale et cognitive). Il fut auparavant instituteur, maître assistant à l’USTL de Montpellier puis professeur des Universités à Dijon, puis Clermont. Il enseigne la psychologie cognitive du développement et de l’apprentissage et a dirigé de nombreuses recherches relatives aux apprentissages : lecture, orthographe, arithmétique... Il est notamment l’auteur de L’acquisition du nombre aux Presses Universitaires de France, Paris, 2012.

- Quand les enfants arrivent à l’école, ils ne sont pas vierges de toute compétence arithmétique.

  • Quand les enfants arrivent à l’école, c’est à dire vers l’âge de deux ou trois ans, le bagage se situe à deux niveaux différents. D’abord à un niveau non verbal qui se traduit par deux capacités différentes : l’une qui leur permet de différencier perceptivement de toutes petites collections (2 de 3 par exemple), et l’autre plus générale qui leur permet de différencier des collections d’objets de toutes sortes à condition que le rapport entre les deux soit suffisamment grand, de 1 à 2 (entre 8 et 16 ou 16 et 32), mais pas de 2 à 3 (entre 8 et 12 ou 18 et 24). La différenciation des quantités reste approximative. Ce premier système non verbal, nous le partageons avec les animaux. Il est en place très tôt, même chez les bébés. Et puis il y a un deuxième système à base symbolique et qui est très précis. Il repose sur le fait qu’on a des suites de symboles qui avancent par un (un et puis deux et puis trois...). Alors que le premier est très dépendant de contraintes biologiques, ce second système est culturel et varie d’une culture à une autre, d’une langue à une autre et bien évidemment d’un milieu social à un autre. Le second système, affecté par les différences sociales, est celui sur lequel l’école peut avoir prise.

- À l’école maternelle, quels sont les apprentissages qui sont possibles et souhaitables !?

  • L’évolution de la représentation et de l’utilisation des symboles pour marquer la quantité, la cardinalité est extrêmement lente et même à un point inattendu. Un enfant apprend des centaines de mots chaque année, on aurait pu s’attendre à ce que ces mots très simples liés aux quantités soient appris rapidement. Or ce que montrent toutes les études, c’est que les enfants mettent très longtemps pour faire la différence entre les quantités auxquelles renvoient 1 et 2, 2 et 3 ou 4 et 5. Cela suggère qu’il y a, de façon sous-jacente, des obstacles importants. Si l’école maternelle doit faire quelque chose, elle doit le faire avec précaution, avec lenteur et avec une grande sensibilité au développement des enfants. Le plus important est la variété des activités sur les très petites quantités, le temps important qu’on doit passer à reprendre ces petites quantités pour les intégrer dans des activités diverses et ainsi asseoir ces apprentissages de base avant de se lancer dans des apprentissages plus formels qui n’ont leur place à l’école qu’à partir du CP.

- Les apprentissages doivent-ils être systématisés ?

  • Je suis convaincu que la systématisation des apprentissages est importante mais aux yeux des élèves ce caractère pourrait ne pas apparaître. L’important est qu’ils aient des activités ludiques qui les amènent à rencontrer des situations nouvelles posant des problèmes arithmétiques qu’ils sont appelés à résoudre. Mais que ces activités puissent prendre un tour presque formel me paraît problématique. Il faut que nous soyons capables de mettre au point des activités qui aient pour les enfants un caractère ludique, intéressant, et en même temps qui permettent aux enseignants de viser la systématisation. Les enfants ne doivent pas sentir le caractère systématique alors que les enseignants doivent être très clairs sur la nécessité de cette dimension. La formation initiale mais aussi continue devrait permettre aux enseignants de se réunir pour construire des outils avec les chercheurs. Il y a nécessité d’une interaction entre recherche et formation.

- Quelle est la place de la manipulation à l’école maternelle ?

  • La manipulation qui est possible à l’école maternelle avec de nombreuses situations va favoriser la construction du nombre et la mémorisation de certains résultats. Ces manipulations doivent être systématiques et régulières mais doivent rester dans un cadre ludique. Une autre activité très importante est celle de la simulation  : l’enfant joue mais de façon proche du théâtre, il met en scène plus qu’il ne joue et par là même il cherche à modéliser, ce qui n’est pas nécessairement le cas dans la manipulation. La simulation relève d’un processus plus élaboré et s’apparente au « faire semblant ». Cela correspond bien à la période de scolarisation à l’école maternelle et ce sont des activités auxquelles les enfants peuvent se livrer dès 2 ans, 2 ans et demi. La maternelle est la période de la manipulation et de la simulation et on peut aller jusqu’à des jeux plus sophistiqués du type « on joue à la marchande ».
SPIP | |Nous écrire|SNUipp|FSU | Suivre la vie du site RSS 2.0