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"Toute connaissance est acquise"

mardi 24 septembre 2013
Mis à jour le lundi 25 février 2013

Roger Lecuyer est professeur émérite de psychologie du développement à l’Université Paris-Descartes. Ses travaux mettent en évidence les connaissances élaborées par les bébés qui, dès trois mois, comprennent un certain nombre de « lois » simples régissant le fonctionnement de leur environnement physique et social. Son ouvrage intitulé « Le développement du nourrisson » (Dunod, Paris, 2004), synthétise l’ensemble des connaissances actuelles sur le développement du nourrisson.

- Vous dites que les nourrissons élaborent très tôt des connaissances…

  • Il faut distinguer deux types de connaissances. Il y a les connaissances factuelles comme reconnaître la voix de la mère dès la naissance et les connaissances des règles simples du fonctionnement de l’environnement (la permanence de l’objet par exemple). Les connaissances factuelles s’acquièrent dès la vie foetale (goûts, sons…). Si la maman mange des aliments au goût d’anis par exemple, le bébé aura un rapport positif aux aliments anisé. Concernant les règles de la physique élémentaire, 3 théories s’opposent. La plus classique, celle de Piaget, selon laquelle tout s’acquiert par le biais de l’activité sensorimotrice. La théorie nativiste estime qu’un noyau de connaissances existe dès la naissance. Le 3e point de vue estime que ces connaissances sont acquises très vite – avant les trois premiers mois – de manière perceptive, en repérant par exemple que si leur mère est à moitié cachée par un meuble elle n’en reste pas moins entière…

- Comment les bébés font-ils pour découvrir le monde environnant ?

  • Tout dépend de l’âge. Avant cinq mois, les bébés ne peuvent pas avoir d’action volontaire vers le monde comme attraper un objet. Toutefois, un bébé qui semble passif dans son transat perçoit des choses. Or, la perception est quelque chose de très actif. Une de nos expériences consiste à montrer à des bébés de 3 mois une succession de figures géométriques à trois éléments qu’on leur laisse regarder. Au bout d’un certain temps on leur présente en alternance une figure à 4 éléments et une à 3 éléments qu’ils n’ont jamais vue. Les bébés regardent plus longtemps la première car ils ont remarqué une régularité dans les précédentes. Ces tentatives montrent que le bébé n’est pas passif face aux stimulations que lui offre l’environnement.

- Ces connaissances relèvent-elles de l’inné ou de l’acquis ?

  • Mon point de vue est qu’il y a des connaissances factuelles dès la naissance mais que la connaissance de règles n’apparait que vers 2-3 mois. Si on entend par inné ce qui est présent à la naissance, un savoir peut être à la fois inné et acquis puisqu’on commence à apprendre avant la naissance. Mais il n’y pas de connaissance innée (au sens de non apprise) : toute connaissance est acquise. Il y a cependant des capacités déjà présentes à la naissance comme les capacités perceptives ou les capacités motrices qui sont plus élevées in utero en raison de la faible musculature des nouveau-nés qui évoluent plus aisément en milieu aqueux.

- Comment créer un terreau favorable à l’apprentissage précoce ?

  • Le meilleur moyen de donner à un bébé ce dont il a besoin c’est de faire ce que l’on a envie de faire. Nombre de nos expériences consistent à rechercher les caractéristiques des stimuli qui provoquent l’intérêt des bébés. Il y en a essentiellement quatre. Le mouvement est une des premières choses qui va interpeller le nourrisson. Tout ce qui est structuré intéresse aussi le bébé. Par exemple, il ne s’intéressera pas à un mur blanc tandis qu’un visage humain, avec sa régularité, va attirer son attention. Les bébés sont aussi attentifs à ce qui est nouveau. Pas ce qui est « trop » nouveau et qu’ils ne sont pas en capacité d’analyser mais du nouveau dans la régularité, comme des grimaces sur un visage connu, ou un adulte qui change de vêtements. Enfin, les nourrissons s’intéressent à ce qui est étrange. Le petit jeu de l’objet qui apparaît puis disparaît les passionne. En conséquence, sa meilleure source de stimulation est la présence de l’humain.

- N’y a-t-il pas un risque à sur-stimuler un nourrisson ?

  • Le risque est énorme. Dans nos recherches, nous travaillons beaucoup sur les temps de regard des bébés. Au-delà de ce temps d’attention le bébé n’est plus en capacité d’analyser ce qu’il perçoit. Prenons l’exemple des programmes de télévisions dits « pour bébés ». Avant 4-5 mois, et même s’ils peuvent appréhender la 3D, les bébés ne comprennent pas ces images, leur interposition, la perspective, la texture, etc. Les images sont diffusées trop rapidement et sont trop « simples » pour les bébés qui manquent d’indices pour les analyser. Le bébé ne voit que des mouvements de couleur désordonnés. La sur-stimulation crée finalement de la passivité.
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